Textes d'Eric Corne / Eric Corne's texts
Concrete love Jungle
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Les murs roses bonbon d’une favela de Cidade Tiradentes déchirent les relents d’humidité, les pneus brûlent aux abords. Désolé, Manuel et Damien, vos peintures me poursuivent, les ondes se contemplent trop ici, se confondent même. Il se dit sur les chemins dévastés des pas affamés que la colline environnante accueillera le palais de la science ; astronomie – estrella.  MAIS mon amour, où planterons-nous nos seringues avant de faire l’amour ?

Pendant ce temps, la favela dérive, les envahisseurs sont là, en camions bleus, même si la terre est sourde à tous les coups de pioche, elle disparaît sous les murs de carton, seul l’attendrissent les sources où palpitent les lumières émulsionnées des huiles de vidange.

Certain soir Rua di Santa Apollonia, des films sont projetés sur une toile de jute fixée sur les bâtis de la porte d’entrée, tout au fond du couloir sombre. Le projectionniste hagard surveille son vieil appareil récupéré, son visage peu à peu s’anime des lumières de l’écran. Personne ne fait son cinéma à trente kilomètres à la ronde. Tous les films sont là, vieilles bobines retrouvées à la fermeture d’un cinéma de Sao Paulo. L’Enfance d’Ivan de Tarkovski se poursuit dans la lumière livide de la danseuse licencieuse, déjà blonde ukrainienne, du film de l’entracte. Enfin, sans lutte, surgit le porno final : Casanova two, 1978. La perruque s’active, le bondage n’est pas encore à la mode, les nazis n’ont pas assiégé le désir. Les nuits sont dures, peur et froid, le sexe n’est jamais végétal, même si les roses attendent toujours a lingua aperta.

DIEU EST MON COPILOTE décide Manuel Ocampo. Les godes de supermarché sont les invendus du culte calme de l’insomnie de la foi. La nuit, les chiens sont en otage dans le cimetière des animaux à la gauche de celui des humains, ils traînent avec leur fierté de sculptures de Giacometti. Les chiens nous hantent. Se recueillir, voir des squelettes de filles ouvertes au vent, je te cherche, je te jouis, souffle-t-il.

ALORS mon amour, où planterons-nous nos seringues avant de faire l’amour ?

La music métal se livre à la samba, le Rap les scotche. Les dieux, les élévateurs, les bétonnières s’activent à construire les églises. Blanchir l’argent, blanchir les corps, blanchir les âmes, rêve de coloniaux, mais la coke reste blanche. Les rhinites ne sont plus accidentelles, il faut s’essouffler encore pour conserver la misère à tout prix, partage sans midi.

Dans un grand rapt de couleurs et de tracés, Philip Guston se remet de la partie avec Manuel Ocampo et Damien Deroubaix, et ils sauvent le monde. Des oeuvres comme Monument to the failed liberation of the world (132×242,3, 2006) de Manuel Ocampo, ou Revelation (450x330cm, 2006) de Damien Deroubaix, avec leurs bouleversements hallucinés des signes historiques épousent dans leur violente irréalité cette concrete love jungle de la favela. Pour eux et les habitants de Cidade Tiradentes, la couleur c’est l’honneur – elle recouvre les murs de ciment, de bois ou de carton, de toile ou de papier, assurément. Les roses fluos, les oranges cadmium, les bleus électriques, les verts cinabres sous la mesure de grands pans de couleur noire nous inondent et nous protégent – le blanc s’oublie. La peinture est possible.

YEAH mon amour, où planterons-nous nos seringues avant de faire l’amour ?

Eric Corne, Sao Paulo, Cidade Tiradentes, Brésil, 17 novembre 2007.