Textes d'Eric Corne / Eric Corne's texts
Les Mondes de Caetano Dias sur Caetano Dias
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L’œuvre da Caetano Dias doit toujours être perçue dans son attachement au contexte comme celui de Salvador de Bahia d’où il est originaire. Ainsi pour sa vidéo UMA, sur la plage de Salvador, il a filmé une scène d’amour au bord du rivage entre une jeune femme noire et un homme blanc. Derrière cette scène en apparence voyeuriste, c’est le contexte social et culturel que nous décrit Caetano Dias avec la difficulté de la mixité au dehors des rapports sexuels : la perte de sens dans le fantasme d’un métissage compliqué, voire impossible qu’il soit celui des corps ou des cultures. S’approprier les images est une manière pour lui d’accentuer sa perception du monde des êtres et de ses objets en tant que constituants captifs et figés de ce monde. Le corps, lieu et trace de la performance dévoilent ainsi ce que Rosalind Kraus dans Le photographique” nomme non pas comme un étant-vu, mais un étant-perçu”.

Caetano Dias, traite aussi de la culture (dite) populaire, son oeuvre se saisit du syncrétisme tant artistique (le POP ART n’est-il pas du syncrétisme esthétique ?) que religieux comme le candomblé (associant l’animisme Yoruba du Bénin et le catholicisme). L’artiste conserve ainsi l’énigme de toute création quelle que soit sa destinée, esthétique, totémique ou religieuse. Ainsi dans nombre de ses œuvres, il mêle la sensualité et la spiritualité, le paganisme et la religiosité, la douceur et violence, l’archaïsme et modernité. Par ses sculptures et ses films il met en scène la vulnérabilité du corps devenu simple cliché du monde médiatique, religieux ou de la tradition. Il travaille à partir de la perception, de la nature et la combinaison de ce qu’il perçoit des relations humaines. Le corps figuré ou corps avec ses entraves ironiques, comme ces murs construit en sucre de canne qu’il installe dans les favelas, il inscrit là une délimitation dérisoire et comestible d’un espace sans réalité administrative que sont les favelas.

Caetano Dias souligne la valeur de vérité d’une situation politique, historique, sociale, religieuse ou esthétique, pour la contester. Ces entités qu’il relève, traduisent son engagement afin de révéler le passage et les seuils d’échange entre le public, le privé et l’intime, la constitution de l’individu et de la communauté.

Dans sa vidéo, O Mundo de Janiele, découverte au Paço das Artes de Sao Paulo, acquise au Musée Berardo de Lisbonne et que j’aurai le plaisir de présenter en septembre, il nous fait entrer dans cette « concrete  love jungle » de la favela. Il filme une petite fille faisant du Hula Hoop, à première vue, cette scène nous apparaît simple et ludique avec la petite musique lancinante et enfantine semblant venir d’une boite à musique. Peu à peu, dans la répétition du mouvement et l’apparition lente du visage puis totale de la jeune fille trônant au centre de la favela, c’est le trouble de l’image et de son message qui s’impose. La favela, le Hula Hoop et l’enfant nous apparaissent en entités singulières, tels trois planètes isolées. En alternant un travelling extérieur et un centré, l’artiste a créé un effet de spirale. La petite fille en est le centre (le soleil), autour d’elle tourne le cerceau (la terre) et enfin troisième anneau concentrique, par un mécanisme de tournage et de montage, c’est la favela (la lune) qui pivote. Caetano Dias nous révèle avec une force percutante la situation de la jeune fille, son devenir, ses horizons géographiques et sociaux. Par une belle journée ensoleillée, la petite fille, avec son port altier de petite princesse au corps gracile et aux gestes sensibles et doux, semble régner ou au moins maîtriser le monde qui l’entoure avec les pans colorés des habitations de la favela. Mais au delà de la douceur et la beauté presque idyllique de cette scène, dans la spirale obsédante de O Mundo de Janiele, se perçoit en fait un enfermement où il faut à Janiele s’essouffler encore et toujours pour conserver la misère à tout prix, sans espoir du partage de midi. Et cette œuvre si sensible et juste, dans ses multiples ambiguïtés traduit tout l’art de Caetano Dias, où la gravité se superpose à la douceur, la dignité à la vulnérabilité et réciproquement.

Eric Corne

Janvier 2008