D’abondance, couleurs de nuit.

Les toiles de Corne se goûtent comme une écriture au sens plein du terme : sens et/ou sonorité, matière et/ou symbole.
Le moteur du travail, c’est l’amour. Son carburant : la mort, pas comme fin obscure, mais comme un aiguillon, comme un ami-adversaire qui vous pousse dans vos derniers retranchements.
L’ombre de Cravan, l’artiste-boxeur-provocateur, plane. L’art comme coup de poing. Fulgurance : peindre d’abord, on aura tout loisir de réfléchir ensuite.
Son histoire, c’est aussi l’histoire d’un clown aux grands pieds. Portrait de l’artiste en inadapté.
Il peint « avec des gants de boxe », comme on jouerait du violon les mains empêtrées. Ça rend les choses moins évidentes, mais aussi plus ardentes. D’où sa prédilection pour le fulgurant Nussbaum, à la fois expressionniste et allégorique. D’où aussi le cousinage avec Guston, le Bad-painter par excellence : gros godillots à clous, grosses paluches, bonshommes frustes, mais le tout artistiquement assaisonné.

Pourquoi ses tableaux sont-ils importants ? D’abord, parce qu’ils sont singuliers. Aussi parce qu’ils sont lumineux, sombres, littéraires, cryptés, ensorcelants, parfois embarrassants.
La lumière l’obsède. Celle du soleil, de la lune, des bougies, des étoiles, de l’âtre… C’est en elle que se dévoile chaque scène, comme un texte à déchiffrer ou un monde à arpenter.
Il y a des tiroirs, des portes des rideaux : des formes de l’espace, des formes dans l’espace qui tout à la fois encombrent, obstruent, bouchent, cachent mais aussi libèrent le regard.
Deux astres font la course dans son ciel : Rimbaud et Van Gogh.
Nu, paysage, portrait, nature morte : toutes les questions posées par la peinture ou la poésie…
Brasser des mythes, dévorer l’histoire, aimer les corps, dépeindre l’âme : Corne à donc fort à faire et nous beaucoup à voir.
Démesuré et légèrement fou : devant ses toiles, on réfléchit au comment et au pourquoi de l’apparition d’une image, au grand brassage des mythes, au fait que l’art se nourrit de l’art mais pas uniquement.
Ce n’est pas tous les jours qu’on rencontre un héros amoureux, un artiste brillant.
Ses dernières toiles sont de nobles combats, avec de beaux gestes comme on peut en voir sur un ring ou dans un stade. Ni chiche ni chiqué. Des tubes de peinture écrasés, des palettes chamarrées, des croix, des corps malmenés, le chien de l’artiste immobile, le peintre debout parfois un peu sonné d’avoir tant donné ou encore son impassible effigie. Et des paysages aux couleurs somptueuses, des horizons lointains, des baraques mystérieuses. Une invitation au voyage, mais en passager clandestin. Bref, du dépaysement comme on en vit rarement.
Il faut aller voir sa dernière exposition, sans hésitation et sans repentir. Comme Cravan boxait, comme Rimbaud poétisait, comme Van Gogh peignait.

David Rosenberg
À propos de la peinture-poésie de Corne et de ses toiles exposées chez Patricia Dorfmann, pour l’exposition BEING BEAUTEOUS (14 avril-18 avril 2015)