Les peintures d’Éric Corne sont des scènes de crime. Sur les tables dressées où les invités sont absents, certains objets ont la couleur du sang. Un fruit rouge coupé au couteau et un couteau dont la lame, posée entre les deux tranches du fruit, ithyphallique, pourrait bien avoir percé un corps enfoui derrière l’image. Rouge, ce morceau de viande auquel répond, plus haut sur la falaise, une échelle cassée. Rouge encore, trop rouge pour être sans tache, ce verre de vin renversé sur la nappe.
Un crime est un rébus à déchiffrer. Les choses tissent entre elles un scénario secret : à côté de ces marques écarlates, un bouquet de fleurs et un arbre, un arbre et un livre, un couple de colombes, un chien errant, un masque et une bulle de savon. Le tout beignant dans la lumière bleue d’un bord de mer.
Le mystère se dévoile dans les lettres anciennes de la peinture. Et c’est une histoire baroque qui se rejoue dans ces symboles étalés sur la toile. Picasso, Rembrandt, Van Gogh, Matisse sont invités, parmi d’autres, à ce nouveau festin. Et l’on se demande alors pourquoi tout ou presque semble si curieusement à sa place. Pourquoi le vase est-il sur la table ? Que font les fleurs dans le vase ? Pourquoi l’eau dans la mer ? Pourquoi le soleil dans le ciel et le sable sur la plage ? Après plus d’un siècle de modernité picturale qui a défait l’ordre de la figuration, son retour ici sur la toile ne va pas de soi. Ce qui apparaissait jadis comme une évidence se pose soudain comme une énigme. On pourrait penser que le peintre a remis le monde en ordre pour effacer la scène du crime. Mais c’est cet ordre précisément qui le trahit.
Tout crime appelle sa rédemption. La rédemption pourrait bien dans ce cas résider dans la matière même du crime. On se souvient de la phrase de Kafka : « Écrire, c'est sortir du rang des assassins ». Aussi en va-t-il sans aucun doute de la peinture. Peignant le crime, le peintre sort du rang des assassins. C’est n’est jamais que dans et par la couleur qu’il expie sa faute et sa malédiction. C’est là son pardon, son paradis, son exil. Je pense en particulier au tableau intitulé La vague, Deixa a Vida Me Levar, tout en me rappelant encore la phrase de Hölderlin : « Là où croît le péril croît aussi ce qui sauve ». Car cette vague qui se dresse au loin, prête à tout emporter, qu’est-elle sinon une déferlante de bleu ? Qu’est-elle sinon de la peinture, rien que de la peinture ? On le sait depuis Gauguin : le peintre n’a pas d’autre exil que ses couleurs.
Laurent Buffet
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Crime and exile
Éric Corne's paintings are crime scenes. On the dressed tables of absent guests, certain objects take on the hue of blood. A red fruit, sliced by a knife—the blade, ithyphallic between the halves—could have pierced a body hidden behind the image. A dark red piece of meat echoes a broken ladder, high on the cliff. Red, too red to be pure, spills across the canvas—a glass of wine tipped over the tablecloth.
A crime is a puzzle to be solved. Objects weave a secret narrative: alongside scarlet traces, a bouquet of flowers, a tree, a book, pigeons, a stray dog, a mask, and a soap bubble—all radiating under the blue seaside light.
Mystery unfolds in the ancient script of the painting. This is baroque history reenacted through symbols on the canvas. Picasso, Rembrandt, Van Gogh, Matisse, and others are summoned to this new feast. And yet, we wonder why everything—almost everything—feels so strangely placed. Why is the vase on the table? Why are the flowers in the vase? Why is the water in the sea, the sun in the sky, the sand on the beach?
After a century of modernity that dismantled figuration, its return here is anything but obvious. What once seemed natural is now an enigma. One might think the painter has restored the world’s order to erase the crime. But it is precisely this order that betrays him.
All crimes call for redemption. Here, redemption may lie in the very substance of the crime. We are reminded of Kafka’s words: “To write is to emerge from the ranks of murderers.” The same surely applies to painting. By painting the crime, the painter steps out of the ranks of murderers. Through colour, he atones for his fault, his curse. This is his forgiveness, his paradise, his exile.
I think particularly of the painting La vague, Deixa a Vida Me Levar (The Wave, Let Life Carry Me), and recall Hölderlin’s words: “But where danger is, also grows the saving power.” What is this wave rising in the distance, ready to engulf everything, if not a surge of blue? What is it if not painting—pure painting? As Gauguin taught us, the painter's only exile is in his colours.